L’histoire commence au début du XIXe siècle, au lieu-dit Las Verrières à Péfranc. Aujourd’hui sur la commune de Tourtrès, cet endroit est occupé par un centre hippique, le ranch du Bel-Air. À l’époque, la ferme se situe dans une clairière à l’extrémité nord du bois de Verteuil-d’Agenais, à proximité d’un ancien relais de chasse au lieu-dit La Caillade. L’importance et la prestance de la bâtisse, le patronyme de Péfranc et la tradition d’aristocratie de Verteuil semblent indiquer le caractère noble du lieu. Un grand chêne poussait là, avec un tronc si gros qu’en 1930 il fallait cinq personnes pour en faire le tour. On dit que le futur roi Henri IV y attacha son cheval ainsi que ceux de son escorte.
Las Verrières appartenait à Pierre Vèze, né en 1761 à Saint-Barthélémy-d’Agenais, d’origine bourgeoise. Ce M. Vèze, qui fut maire de Labretonie, cédera cette propriété avant la moitié du XIXe siècle, ainsi que d’autres domaines, au dénommé Jean Mazière. Ce dernier, né à Monbahus en 1781, vivait donc à Las Verrières et cultivait les terres alentour en fermage. La belle-mère de Jean Mazière s’appelait Marie Flouret, née Thomas, et exerçait à son domicile le métier de sage-femme. Marie accouchait les jeunes femmes qui ne souhaitaient pas garder leur bébé. Son mari emmenait à cheval les nouveaux-nés emmaillotés jusqu’à Marmande, où il les déposait dans la «boîte», installé exprès à la porte d’un édifice religieux pour le dépôt anonyme des nourrissons.
Jean Mazières et sa femme eurent trois fils, qu’ils prénommèrent tous trois Jean. Jean l’aîné vivait à Peyrenègre-Labretonie. Jean le second s’installa à Villebramar, au lieu-dit Prat-Eyssu. Le dernier Jean, dit Lou Peyri (en patois, cela pourrait signifier à la fois «pierre» et «père», le bâtisseur et le patriarche) naquit en 1817. Ce Jean le jeune préféra rester dans la maison paternelle, où il exerçait le métier de faiseur d’araire. Et c’est justement à l’occasion d’un labour plus profond avec une nouvelle charrue de sa conception que son père et lui mirent à jour le trésor de Labretonie en 1832, sur des terres appartenant à la famille Plantou. L’endroit correspond vraisemblablement à un petit vallon aujourd’hui transformé en retenue d’eau de 3,5 hectares, endroit qui fut baptisé Pièce d’Or.
En 1861, un certain M. Béchade, désigné par le congrès scientifique de France comme «érudit archéologue» de Saint-Barthélémy, signala dans un rapport «un trésor inestimable découvert inopinément». Ayant été informé de la trouvaille d’un métayer, il décrivit «un coffret de cuivre découvert dans le vallon de Contenson […]. Ce trésor […] est daté des années 270. Il témoigne d’une occupation du site dès le Haut-Empire.» Un trésor similaire avait fait l’objet en 1835 d’une publication de M. Rozan, pharmacien de Verteuil-d’Agenais et membre de la communauté archéologique d’Agen. De toute évidence, il s’agit de la même découverte. Et à chaque fois, ces experts ont voulu protéger le découvreur. M. Béchade attendra trente ans pour publier son rapport.
Voici la description du trésor: deux paires de bracelets d’écaille et fermoir d’or, plusieurs lames d’or ayant l’apparence de débris de couronne, une statuette en or, quelques lingots d’or, cinq colliers de pierres précieuses, quarante médailles, or, argent, bronze. Le propriétaire du champ, lequel avait continué de fouiller la zone après l’annonce de son métayer, trouvera encore une médaille en or de Néron, des débris, un fermoir «obscène» en or et un onyx à l’effigie de Mercure. Les médailles, plus rares que les pièces et pesant davantage, indiquent le caractère aristocratique de son ancien propriétaire. Le seul échantillon de 14 médailles d’or et deux lingots passés entre les mains des archéologues peut être estimé entre 190000 et 280000€ (prix d’achat numismatique 2019). Le trésor complet devait être considérable!
On recense d’autres découvertes de ce genre, datant du IIIe siècle, à proximité des voies de communications. En Lot-et-Garonne, on peut citer Nérac, Aiguillon, Duras… À cette époque, le pays entrait dans une période d’instabilité politique et économique. Les campagnes, en proie aux bagaudes, étaient peu sûres. Bien des «trésors» furent enfouis pour échapper aux brigands. On laissait un repère, pour pouvoir récupérer son bien plus tard. Mais ce n’était pas toujours le cas. La caisse de cuivre retrouvée à Labretonie appartenait certainement à un haut dignitaire gallo-romain fuyant la déliquescence de l’Empire, quelque part sur la route de l’exil. Le lieu de la découverte était déjà un vallon à vocation agricole, fertile et abondant en eau, à l’écart de toute habitation, et semble donc indiquer une dissimulation urgente.
Les circonstances de la découverte du trésor sont sujettes à plusieurs versions, mais il est très probable que la famille Mazière soit directement concernée. Le père Mazière aurait intelligemment orchestré la «gestion» du trésor, qu’il fit discrètement estimer avant de le dissimuler ou le blanchir. Sans précipitation, de façon à ne pas éveiller les soupçons par un enrichissement subit ou un départ inopiné, celui-ci attendit l’arrivée de ses petit-fils pour transmettre ce fabuleux héritage. Un ou plusieurs descendants de la famille, après la mort du patriarche et juste avant la publication de la description du trésor par M. Béchade en 1861, ont vraisemblablement quitté le pays pour prendre un nouveau départ à l’autre bout du monde, emportant un solide pécule.
L’achat du domaine de la Caillade, quelques années après la découverte, aurait cependant pu constituer un indice du blanchiment du trésor par la famille Mazière. Et les agrandissements de la maison de Las Verrières, rasée depuis pour laisser place à un centre hippique, ont-ils été payés avec l’or gallo-romain?
Et qui sait? Sans doute que certains investissements, tels la réfection d’une toiture, le creusement d’un puits, la construction d’une grange… engagés par le second fils Mazière au lieu-dit Prat-Eyssu à Villebramar ont aussi été financés avec une partie du trésor de Labretonie. Voilà une pensée réconfortante, d’imaginer qu’une partie de ce trésor, enfoui pendant plus de 1500 ans dans le sous-sol du pays, est restée dans la commune. Une poignée de paillettes d’or fixées dans notre patrimoine, avant que le reste ne soit emporté par le vent de l’Histoire.